La visite du premier ministre pakistanais au sanctuaire soufi d’Ajmer en Inde n’apportera pas d’avancées dans la diplomatie houleuse qui caractérise les relations indo-pakistanaises depuis le début d’année. En famille pour ce pèlerinage, sa visite suscite des réactions mitigées et nombreuses critiques.
Samedi dernier, le premier ministre pakistanais, Raja Pervez Ashraf a visité le sanctuaire soufi de Ajmer. Peu avant, il a déjeuné avec le ministre indien des affaires étrangères, Salman Khurshid dans un grand hôtel de Jaipur. Pour faire taire les spéculations sur ce déplacement, l’Inde se veut claire. « Il s’agit d’une visite privée. Ce n’est pas l’occasion de discussions » indique le ministre indien.
Pour sa première visite en Inde en tant que premier ministre du Pakistan, Raja Pervez Ashraf a reçu un accueil assez chaleureux de la part de Salman Khurshid qui loue l’hospitalité indienne. Sourires et poignées de main entre les 2 hommes face aux caméras et aux journalistes avant un déjeuner à huis-clos où la politique et diplomatie ne semblent pas avoir été au programme. « L’Inde est heureuse de déjeuner avec le premier ministre pakistanais. Nous renforçons simplement notre hospitalité » reprend-t-il pour souligner la banalité de cette rencontre qui ne veut s’inscrire dans aucune tactique politique.
Si l’accueil politique est distingué et cordial, la visite d’Ajmer a néanmoins suscitée des réactions mitigées. C’est au sein même du sanctuaire soufi historique de Khwaja Mohinuddin Chisti d’Ajmer que la réception du premier ministre pakistanais a été accueilli avec le plus d’amertume et de critiques.
La veille de cette visite, le leader spirituel du sanctuaire annonçait qu’il ne rencontrerait pas le premier ministre pakistanais en signe de protestation contre les attaques envers les soldats indiens dans le Cachemire de janvier dernier. A cette décision, il ajoute ne pas vouloir prier avec Raja Pervez Ashraf en raison des « atrocités continues que subissent les minorités au Pakistan et du manque de sécurité dans leurs lieux de dévotion ». « J’attends du premier ministre qu’il rende la tête du soldat indien décapité et qu’il fasse ses excuses au peuple indien et à la famille du soldat. Seulement après, sa visite dans ce sanctuaire mènera au début d’une nouvelle phase de relations amicales entre les 2 pays » explique-t-il.
La plus haute autorité spirituelle du sanctuaire a également profité de l’occasion pour dresser un portrait peu glorieux et particulièrement critique du Pakistan, « qui se veut une république islamique mais qui ne suit pas les enseignements de l’Islam dans leurs réalités». « L’Islam veut que ses adeptes vivent en paix avec leurs voisins. Les politiciens pakistanais défient les valeurs de l’Islam et promeuvent le terrorisme contre l’Inde et tuent des innocents » déclare-t-il.
Des juristes locaux ainsi que l’association des marchands du sanctuaire se sont également joints au boycott. « Pour des raisons sécuritaires, le marché restera fermé durant la visite du premier ministre pakistanais et nous fermons nos échoppes pour marquer notre protestation » indique Jodha Tekchandani, président de l’association du marché du sanctuaire. Pour Rajesh Tandon, représentant de l’association du barreau d’Ajmer, la visite de Mr Ashraf va désacraliser le territoire d’Ajmer, tant et si bien qu’il indique que les routes empruntées par le premier ministre pakistanais seront lavées à l’eau. « Le ministre indien des affaires étrangères qui reçoit Mr Ashraf pour déjeuner est honteux. Il ne devrait pas recevoir un tel accueil. C’est une insulte aux sentiments des Indiens et aux familles des martyrs » s’offusque-t-il.
Le message de l’Inde et la fin du mandat diplomatique du Parti du Peuple Pakistanais.
La visite de Raja Pervez Ashraf révèle le mauvais état des relations indo-pakistanaises. La réception du premier ministre dans le sanctuaire d’Ajmer tranche avec celle du président pakistanais Asif Ali Zardari d’avril 2012. Les incidents qui ont coûté la vie à plusieurs soldats des 2 nations dans le Cachemire au début du moins de janvier pèsent lourd sur leurs relations.Cette visite se voulait-t-elle politique ? Une manière de prendre la température chez la classe politique et de la société indienne ? En tout cas, la réponse est cinglante. Ce nouvel épisode de la diplomatie du soufisme a été marqué par les critiques émanant de la société civile, de partis politiques (BJP) et des instances religieuses. Le leader spirituel du sanctuaire d’Ajmer accompagnent toujours les délégations internationales lors des visites sur la tombe du saint musulman Khawaja Moinuddin Chisti. Son boycott et sa critique de la politique pakistanaise est un signe fort envoyé au Parti du Peuple Pakistanais qui termine son mandat le 15 mars.
Le déjeuner protocolaire à l’hôtel Rambhagh Palace de Japiur offert par Salman Khurshid a permit de laisser place à un visage plus amical de cette visite d’un jour, mais c’était sans compter le chef des armées indiennes, le général Bikram Singh. Dans un communiqué publié au moment où le premier ministre pakistanais visitait Ajmer, il menace le Pakistan de représailles en cas de violation du cessez-le-feu sur la frontière. « Nos soldats ne resterons pas assis à ne rien faire. Nous ne resteront pas silencieux si le Pakistan viole la ligne de cessez-le-feu. Voilà la situation sur le terrain. » annonce-t-il dans un message fort à l’intention du Pakistan.
Le spectre des deux soldats indiens mutilés dans les montagnes du Cachemire en janvier dernier plane avec insistance sur leur relation alors que le Pakistan a toujours nié les accusations indiennes en rétorquant avoir également perdus des soldats dans des accrochages qui ont eu lieu avant et après les mutilations. « Rien ne sera plus comme avant avec le Pakistan » avait déclaré le premier ministre indien Manmohan Singh en réponse.
Depuis 2008 et l’arrivé au pouvoir du PPP, l’Inde et le Pakistan ont connu une diplomatie bilatérale en dents de scie, marquée par de graves crises dont les attentats de Bombay qui ont entraîné une suspension du dialogue de près de 2 ans. Jusqu’à cet hiver, la reprise des visites et des discutions avait permis des avancées notables sur le plan du commerce, du régime des visas et des volontés de régler les contentieux. Et l’investissement dans la diplomatie du cricket et du soufisme a engendré la multiplications des contacts interpersonnels entre les classes politiques et civiles. Mais l’Inde comme le Pakistan restent les otages de dossiers complexes, qu’ils soient frontaliers comme le Cachemire et l’estuaire de Sir Creek ou sécuritaires, avec les demandes répétées de l’Inde au Pakistan pour qu’il agisse contre le militantisme anti-indien.
L’Inde risque de peu s’impliquer dans une diplomatie active alors que la campagne électoral débute au Pakistan. Selon les sondages, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) devrait céder sa place au pouvoir. Les politiciens indiens attendent vraisemblablement de devoir composer avec un nouvel interlocuteur. Pour le PPP, ce boycott clôt 5 années de diplomatie avec l’Inde, faites de hauts et de bas. Et pour le futur leader à la tête du Pakistan, l’Inde a prévenu : elle montrera les muscles à la moindre erreur.
Julien Lathus