Afghanistan : les difficultés face au défi sécuritaire

L’attaque de lundi 29 janvier dernier contre l’Académie militaire de Kaboul, la troisième majeure en un peu plus d’une semaine illustre encore plus les difficultés à assurer la sécurité de la capitale afghane en proie à une recrudescence d’attentats de plus en plus meurtriers.

Le 20 …

L’attaque de lundi 29 janvier dernier contre l’Académie militaire de Kaboul, la troisième majeure en un peu plus d’une semaine illustre encore plus les difficultés à assurer la sécurité de la capitale afghane en proie à une recrudescence d’attentats de plus en plus meurtriers.

Le 20 janvier en début de soirée, un commando de 6 Talibans s’introduit dans l’Hotel Inter-Continental, un établissement de 5 étoiles, ouvre le feu et prend la clientèle en otage, ciblant principalement des étrangers. Toute la nuit, le commando tient tête aux forces de sécurité. Au matin, on dénombre 40 morts, dont 15 étrangers et 22 blessés. Le gouvernement tient le Réseau Haqqani, composé d’insurgés afghans mais basé au Pakistan, pour responsable de l’attaque.

Une semaine plus tard, alors que la population continue de se poser des questions sur les défaillances sécuritaires de la capitale, une ambulance bourrée d’explosifs ravage une rue animée mais bien protégée à proximité du ministère de l’intérieur et du quartier général de la police afghane. « Un massacre » comme titrent de nombreux journaux à travers le monde qui coûtent la vie à plus de 100 personnes. Les Talibans ont revendiqué cet attentat.

Et 2 jours après, le 29 janvier, alors que la capitale est en deuil, une nouvelle attaque cible cette fois l’Académie militaire d’Afghanistan. Les 2 kamikazes qui se sont fait exploser contre un bataillon de ce Saint-Cyr afghan ont causé la mort de 11 soldats. Cette dernière attaque d’envergure en moins de 10 jours à Kaboul a été revendiquée par l’EI.

Cette nouvelle dynamique illustre l’incapacité du gouvernement afghan à sécuriser le territoire mais également les échecs de la communauté internationale et de la stratégie américaine près de 17 ans après le renversement du régime Taliban. Aujourd’hui, les Talibans, l’EI et d’autres groupes radicaux s’engouffrent dans cette brèche et comblent le vide par des opérations d’envergure toujours plus sanglantes. Ailleurs en Afghanistan, ces groupes contrôlent de nombreux districts et les forces de sécurité afghanes ne semblent pas en mesure de les contenir sans l’aide internationale.

Les Kaboulis entre résignation et colère.

Face à ces tragédies à répétition, les habitants de Kaboul demandent des comptes face à ce qu’ils considèrent comme une mauvaise gestion de la crise. Faiblesse étatique, porosité des contrôles et corruption, le président afghan et le gouvernement sont au pied du mur et la pression monte. Pour Najib Mahmood, professeur de sciences politiques à l’université de Kaboul, « les gens pensent que le gouvernement fait mal son travail et que la situation sécuritaire n’est pas bonne », ce que reprend Michael Kugelman, chercheur au Wilson Center en indiquant que « les mesures de sécurité sont trop souvent laxistes dans les villes du pays, les capacités de collecte du renseignement sont précaires et les terroristes sont intelligents ».

En juin 2017, des centaines de manifestants s’étaient rassemblés à proximité du quartier diplomatique, qui abrite également les institutions afghanes, pour crier leur colère après l’attentat du 31 mai qui avait coûté la vie à près de 100 personnes et blessé plus de 460 autres. La foule demandait des réponses auprès du gouvernement et son échec à endiguer des attentats de plus en plus meurtriers. Les manifestants s’étaient fait de plus en plus pressant, appelant à la démission du président Ghani et à la mise à mort des Talibans. Les forces de sécurité sur place avaient dû faire usage de canons à eau, de gaz lacrymogènes et même de tirs à balles réelles. Résultats : 6 morts.

Kaboul, victime d’une dérive sécuritaire générale

La capitale afghane ne cesse de voir le sang de ses habitants couler dans des attaques de plus en plus violentes. Durant ces dernières années, Kaboul demeurait un îlot de sécurité relative, perdu au milieu d’un pays ravagé par une violence multiforme. Alors que les provinces à l’est et au sud (Helmand, Kandahar, Nangahar) restaient les plus instables, Kaboul est devenu l’un des endroits les plus dangereux du pays. Cette dégradation s’observe à partir de 2015 quand de vastes attaques, chaque semaine, se sont mis à coûter la vie de dizaines de personnes.

De plus en plus meurtriers, ces attentats sont principalement commandés par les Talibans et l’EI et ciblent divers groupes de la population afghane qui réside à Kaboul. Des académies militaires ou les forces de sécurité ( 7 août 2015 : 50 morts, attaque revendiquée par les Talibans ; ), des fonctionnaires (19 avril 2016 : 69 morts, attaque revendiquée par les Talibans ; ), la minorité chiite, dont les Hazara (23 juillet 2016 : 97 morts, attaque revendiquée puis contestée par l’EI ; 21 novembre 2016 : 32 morts, attaque revendiquée par l’EI ; 28 décembre 2017 : 50 morts, attaque revendiquée par l’EI ), des institutions d’état (5 septembre 2016 : 58 morts, attaque revendiquée par les Talibans ; 31 mai 2017 : plus de 150 morts, attaque suspectée d’avoir été menée par le Réseau Haqqani, affilié aux Talibans), des hôpitaux militaires ( 8 mars 2017 : plus de 100 morts, attaque revendiquée par l’EI ).

Des aspects de politique intérieure afghane sont en partie responsables de la situation sécuritaire de la capitale, et le désengagement américain d’Afghanistan fin 2014 au profit d’un engagement plus accru en Irak et en Syrie a permit aux Talibans et à l’EI de reprendre des forces en Afghanistan. On compte fin 2017, environ 14 000 soldats ou conseillers présents en Afghanistan dans le pays et à peu près autant de contractuels civils. Cette stratégie ne marche pas et plus les mois passent, plus Kaboul devient le symbole de la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays.

Depuis 2015 et la prise en main de la sécurité du pays par l’armée nationale afghane, le gouvernement afghan n’a cessé de perdre la main aux 4 coins du pays, se faisant supplanter par les Talibans et dans une moindre partie par l’EI. Au 30 janvier, le site Long War Journal indique que 45 des 407 districts que comptent l’Afghanistan sont contrôlés par les Talibans et que ces derniers contestent l’autorité du gouvernement dans 117 autres. De plus 24 autres, revendiqués par les Talibans ne peuvent faire l’objet d’une confirmation. Cela représente un contrôle des Talibans sur 11 % des districts et une lutte pour prendre le contrôle dans 35 autres %.

La Mission de l’ONU en Afghanistan (UNAMA) a enregistré plus de 21105 incidents sécuritaires à travers le pays durant les 11 premiers mois de 2017, principalement concentrés dans l’est et le nord. Ces violences ont fait parmi les civils plus de 8000 morts ou blessés au cours des 9 premiers mois de 2017, ce qui fait probablement de l’année dernière, l’une des plus meurtrières pour les civils depuis 2001.

Julien Lathus

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