Un journal pakistanais réduit au silence par les Talibans

Quand le journal The Express Tribune a été lancé au Pakistan il y a 4 ans, il est rapidement devenu le chouchou des libéraux pakistanais. La venue de ce nouveau journal sur un marché dominé par des publications orientées vers le conservatisme voulait montrer la …

Quand le journal The Express Tribune a été lancé au Pakistan il y a 4 ans, il est rapidement devenu le chouchou des libéraux pakistanais. La venue de ce nouveau journal sur un marché dominé par des publications orientées vers le conservatisme voulait montrer la face moderne du Pakistan grâce à des éditorialistes locaux qui défendent des valeurs libérales et tolérantes, en n’hésitant pas traiter des affaires relatives à l’extrémisme religieux rampant ou aux questions des droits des gays. Cette notoriété et ce ton lui a permit de s’afficher comme la version internationale du New York Times au Pakistan.

Quel avenir pour la presse au Pakistan après la soumission de The Express Tribune face à la violence des Talibans.

Quel avenir pour la presse au Pakistan après la soumission de The Express Tribune face à la violence des Talibans.

Mais ces dernières semaines, le journal a été réduit au silence par les Talibans pakistanais. Le journal a été forcé de changer radicalement de ton dans la couverture de l’information après que trois employés du groupe médiatique, qui comprend une chaîne de télévision et un autre journal furent tués à Karachi le 17 janvier dernier par des hommes en armes. L’attaque fut revendiquée par le groupe taliban pakistanais du Tehrik-e-Pakistan (TTP), une large coalition de groupes militants qui accusent le groupe de diffuser une propagande anti-taliban.

Dans la foulée de ces assassinats, Kamal Siddiqi, le rédacteur en chef de l’Express Tribune a envoyé un email à l’ensemble de l’équipe pour leur signaler la nouvelle politique du journal. Dorénavant, plus rien ne doit apparaître contre les organisations extrémistes et leurs alliées politiques comme le Jamaat-e-Islami, les partis religieux ou encore le parti de droite mené par l’ancienne star du cricket, Imran Khan, qui s’oppose farouchement aux opérations militaires contre le TTP.

Aucune condamnation contre des attaques terroristes, plus rien contre les déclarations du TTP et plus aucune opinion ou caricature sur le terrorisme, le militantisme, les opérations militaires et les attentats ne doivent être publiées. Les journalistes se voient aussi interdit de décrire tel ou tel groupe responsable de la mort des milliers de civils, de soldats ou de policiers comme des « hors-la-loi » ou des « militants ». Les attaques terroristes qui sillonnent le pays quotidiennement sont alors rapportée dans les nouvelles du journal mais de manière épurée.

« Nous avons des exclusivités, mais nous ne les publions pas » affirme Kamal Siddiqi. « Cela est particulièrement frustrant au niveau individuel pour tous les journalistes, mais nous avons décidé que nous ne ferons rien qui puisse nous faire revivre cette tragédie dans le futur ».

D’autres changements font apparaître une approche plus conservatrice concernant les photos qui mettent en scène des femmes dans la section « style de vie » comme dans le supplément magazine du week-end. Mais c’est les pages opinions qui demeurent les plus affectées. Les plumes les plus courageuses du journal ont par exemple passés sous silence les attaques quasi continue qui ont secoué le pays ces dernières semaines.

Ayesha Siddiqa, éditorialiste régulière, déclare que le musellement des médias pakistanais a contribué à « une désinformation hypnotisante » en direction des lecteurs. « J’ai demandé à l’éditeur, « que dois-je faire maintenant, commencer à écrire sur la cuisine ou les films ? » Parce que c’est tout ce qui me reste ».

Cette tuerie de janvier a suivit une attaque à la bombe contre les bureaux de la compagnies en décembre dernier à Karachi. Un journaliste de The Express Tribune a déclaré que cette attaque avait terrifié beaucoup de ses collègues. « Le journal a une équipe très jeune, beaucoup sont apeurés et leurs parents leur demandent de quitter ce journal » explique un journaliste. « Certains disent que nous devrions contre-attaquer mais il ne sont qu’une minorité ».

Après les assassinats, le porte-parole du TTP, Ehsanullah Eshan a été autorisé à rejoindre par téléphone une discussion en direct sur la chaîne de télévision du groupe, Express News. Au cours de l’émission, il a revendiqué le meurtre des trois journalistes en se plaignant que la compagnie à « joué un rôle de propagandiste dans la guerre avec les Talibans » tout en affirmant avoir été continuellement ignoré dans les plaintes qu’il envoyait à la chaîne.

Javed Chaudhry, présentateur de l’émission a promis que la chaîne et le journal présenteraient dorénavant les positions du TTP sans le moindre rognage. « Nous aurons une attitude impartiale et nuancée envers vous et nous transmettrons votre point de vue aux lecteurs, mais nous n’avons qu’une seule requête : celle de voir nos collègues protégés » a t-il déclaré au porte-parole du TTP et devant son audience.

Le TTP a menacé et attaqué des journalistes dans le passé, dont certains de la BBC après que le programme en langue ourdou de la la chaîne s’était fait particulièrement critique après la tentative d’assassinat des Talibans contre la jeune écolière Malala Yousafzai en 2012.

Bien que la plupart des débats nationaux pakistanais diffusé par la presse et la télévision en ourdou soient de tendance de droite, le TTP surveille tout. Ali Dayan Hasan, de l’ONG Human Right Watch déclare que « les Talibans et les autres groupes armés ont menacé les médias pour leur couverture des événements depuis quelques années, mais que maintenant, ces menaces sont en hausse avec des passage à l’acte. C’est une tactique extrêmement efficace qui ne se place pas que sur la censure, mais qui efface également l’ensemble du débat national.

Face à cela, Kamal Siddiqi affirme qu’il ne veut plus risquer la moindre vie. « Le fait est que trois personnes ont été tuées et que personne ne peut nous protéger » souligne-t-il en affirmant que personne n’avait été arrêté dans cette affaire. « Nous sommes seuls. Nous devons prendre soin des nôtres ».

Au Pakistan, la liberté de la presse se paye souvent au prix de la vie. C’est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, pris en étau entre les les Talibans qui multiplient les agressions et les forces de sécurité qui n’ont pas renoncé à leurs méthodes de harcèlement.  Dix journalistes on été tués en 2011, huit en 2012. En 10 ans, 89 sont morts et les coupables courent toujours. Selon le classement annuel de Reporters Sans Frontière, le Pakistan se situe à la 159ème place sur 179 pays en 2013, en enregistrant chaque année, une descente vertigineuse.

Traduction et arrangements par Julien Lathus via The Guradian.

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