Les flingues et les hommes saints d’Ayodhya (3/3)

Si les rivalités entre les temples et les monastères ainsi que la soif de pouvoir poussent de nombreux saddhus, au passé parfois sulfureux, à verser dans le monde de la criminalité, les hommes saints de la ville sainte d’Ayodhya suivent également le même chemin que …

Si les rivalités entre les temples et les monastères ainsi que la soif de pouvoir poussent de nombreux saddhus, au passé parfois sulfureux, à verser dans le monde de la criminalité, les hommes saints de la ville sainte d’Ayodhya suivent également le même chemin que les gangsters classiques et les mafieux. Une route pavée de drogues, d’alcool, d’armes, de sexe, de politique et de tenure.

 Le saddhu Mahant Janmejai Sharan et son flingue, tous deux semblent avoir tremper dans assassinat du maitre du premier.


Le saddhu Mahant Janmejai Sharan et son flingue, tous deux semblent avoir tremper dans assassinat du maitre du premier.

Parmi certaines activités peu recommandable pour un homme de religion, le prêt d’argent est une activité fleurissante à Ayodhya dans laquelle se glisse les prêtres de certains temples comme celui d’Hanuman Garhi. « Les monastères et les temples génèrent d’importants revenus mais il n’y a pas souvent de dépenses. Les saddhus se sont donc lancés dans le prêt à intérêts » explique Ranjit Verma, un juriste. « Il fut un temps où les saddhus ne possédaient même pas une paire de tong pour leurs pieds. Mais aujourd’hui des centaines de milliers de roupies remplissent leurs caisses ».

Cette activité est particulièrement génératrice de crimes avec des saddhus harcelant leurs débiteurs, prenant leurs propriétés en guise de remboursement et allant même jusqu’à tuer ceux qui ne règle pas leurs dettes en temps.

Alors que les hommes saints ont une image de renonçant et d’hommes de paix, ils se sont lancés dans une véritable course à l’armement. « « Beaucoup possèdent des pistolets réglementaires bien que la demande via le marché illicite soit en hausse croissante » affirme un officier de police. Un agent des renseignement déclare même que depuis que la police n’a plus le droit d’exercer des fouilles dans les temples, ces derniers sont devenus de véritables caches d’armes.

De nombreux saddhus sont impliqués dans le marché noir des armes. En utilisant les routes de la contrebande depuis le Bihar voisin, elles sont vendues à Ayodhya. Il y a peu, la police locale avait arrêté trois saddhus portant un revolver américain et quelques autres armes modernes. Le chef religieux Jagdish Das est quant à lui récemment tombé pour défaut de licence pour son arme. A la question « pourquoi un saddhu aurait-il besoin d’une arme », le chef Sant Ramdas tente de relativiser en lançant un laconique « c’est juste un symbole ».

Le renoncement classique des hommes saints met une barrière entre eux et les tentations de la chair comme de la bouteille ou des drogues. Encore une fois, ceux de la ville sainte ne semblent pas forcément suivre ces règles élémentaires qui font la vie d’un saddhu.

« Bien que la vente d’alcool et de narcotiques soit strictement prohibée à Ayodhya, les saddhus se prélassant en buvant ne sont pas rares » fait remarquer un moine. La demande d’alcool a enregistré une hausse en flèche ces dernières années où les vendeurs comme les consommateurs dont les hommes habillés couleur safran.

Il existe également tant de saddhus se prétendant célibataires mais qui ont femmes et enfants. « Il n’y a que peu de saddhus qui suivent ces principes à la lettre. La plupart sont des hommes mariés avec des enfants. Beaucoup ont en plus des maîtresses » raconte un saddhu au journal sous couvert d’anonymat. En 1991, Ram Sharan Das, affilié au temple d’Hanuman Garhi et accusé de plusieurs meurtres a été tué lors d’un face à face avec la police au moment où il rendait visite à sa maîtresse alors hospitalisée. Plus que ce simple cas, au fur et à mesure que la richesse de temple s’est accrue, des hordes de prostitués ont envahi les rues de la ville sainte.

La matrimonialité est devenue la raison principale pour laquelle certains disciples ressentent de la rancune envers leurs gourous. « Auparavant, les chefs religieux étaient tous célibataires et leurs successeurs étaient choisis parmi leurs disciples. Mais aujourd’hui, puisque ils sont tous mariés, après leur mort, leurs enfants leur succèdent à la tête de la communauté à la place des disciples » remarque le saddhu Hariprasad.

Il existe également quelques affaires d’abus sur des mineurs de la part de saddhus à Ayodhya. En décembre 2008, la police a arrêté le chef du temple de Sita Bhavan, Ganga Ram pour le viol d’un fils d’un conducteur de pousse-pousse âgé de 8 ans. Le père a affirmé que le chef avait l’habitude d’emmener son fils dans sa chambre en prétextant lui donner des bénédictions.

Les saddhus sont aussi impliqués dans des affaires mafieuses concernant les terrains. D’ailleurs, dans la plupart de ces cas, ce sont eux les principaux accusés. Dans une ville avec un tel attrait religieux, les propriétés coûtent souvent chères. Alors que les temples comme les monastères n’appartiennent à personne mais son la propriété du dieu qui y est vénéré, certains sont vendus. Maintenant, les temples deviennent de facto la propriété des chefs religieux. « Acheter et vendre des temples devient un problème rampant à Ayodhya » déclare Krishna Pratap. Près de 90 % des affaires immobilières traitées par la Cour de Faizabad concernent Ayodhya et dans 99 % des cas, elles impliquent des hommes saints. Ces affaires concerneraient la moitié des temples de la ville.

Face à ce constat, comment faire table rase de ce désordre ?

Même si le taux de criminalité est en hausse à Ayodhya, la communauté des saddhus ne semble pas intéressée à expulser le mouton noir qui se place en leur sein, et l’administration ne semble pas prête à reprendre le contrôle sur le crime. Beaucoup de responsable étatiques pensent que leurs pouvoirs ne sont pas suffisamment importants pour nettoyer le désordre engendré par les saddhus. On évoque des pressions politiques entre autres choses. Alors que peuvent les responsables ? Lorsque le journal Tehelka a posé la question à un officier de police de Faizabad, il a répondu : « Laissons les. Laissez les se battre et s’entretuer ».

Et puis il y a ceux qui s’enrichissent de cette situation. Ils laissent les brigands faire leurs affaires tout en bénéficiant en retour d’une « taxe de connivence ». « Tout le monde sait qu’ils ont beaucoup d’argent. C’est pourquoi les forces de police ferment parfois les yeux sur les crimes » déclare un officier. « Je connais un collègue qui s’est fait des milliers de roupies à Ayodhya en prenant de l’argent aux saddhus ».

Le chef du temple Mumukshu Bhavan déclare que la police lui a demandé de l’argent en vue de le soutenir dans sa quête de la plus haute place hiérarchique. « Quiconque est prêt à payer le prix juste obtient le soutien de l’administration » reconnaît-il.

Les conséquences de cette situation sont alarmantes. Depuis la controverse du temple de Ram et de la mosquée de Babri, la ville est devenu un véritable chaudron. Un comité se réunit tous les trois mois au sein duquel des responsables du gouvernement et de la sécurité évoquent les tensions qui se cristallisent autour du temple-mosquée. « Après les attaques suicides de 2005 à l’entrée du temple, j’ai immédiatement amené l’idée que nous devrions entamer une procédure d’identification des saddhus vivant à Ayodhya. Et si un terroriste vivait sous l’existence d’un homme saint ? Nous n’avons néanmoins aucune mesure allant dans ce sens » explique un haut responsable ayant participé à de nombreuses de ces réunions.

Pourtant, à Faizabad, le major K.B. Singh assure que la police considère sérieusement à entreprendre des mesures d’identification auprès des saddhus.

Le prêtre en chef du temple d’Hanuman Garhi, Gyan Das pense que l’enregistrement des saddhus serait une étape bienvenue, mais il n’est pas vraiment certain que cela puisse faire fuir les criminels dans un futur proche. « Les éléments criminels sont de loin bien plus forts que les saddhus authentiques » argumente-t-il. « Ils ont de l’argent et un soutien politique. Qui pourra alors leur soustraire ces pouvoirs ». En fait, il apparaît clairement que le futur de la ville sainte dépend en partie de la manière dont l’administration sera capable de se confronter aux racines de la criminalité qui sommeillent chez de nombreux saddhus, sous la couverture des hommes saints. Pour le moment, il n’y a peu de signes encourageants allant dans ce sens.

Traduction par Julien Lathus via Tehelka.

A relire :

Partie 1

Partie 2

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