L’approche des élections ravive les haines religieuses en Inde.

Après le cycle de violences entre Hindous et Musulmans qui a coûté la vie à plus de 38 personnes dan l’état d’Uttar Pradesh la semaine dernière et l’intervention de l’armée pour séparer et désarmer les 2 camps, l’Inde enregistre une hausse des violences interreligieuses. L’approche …

Après le cycle de violences entre Hindous et Musulmans qui a coûté la vie à plus de 38 personnes dan l’état d’Uttar Pradesh la semaine dernière et l’intervention de l’armée pour séparer et désarmer les 2 camps, l’Inde enregistre une hausse des violences interreligieuses. L’approche des élections générales prévues pour mai 2014 semble alimenter ce processus. Retour sur les racines de ce mal indien et sur les causes des possibles flambées de violences pré-électorales.

Près de 800 militaires avaient été appelés pour restaurer l'ordre dans les rues de Muzaffarnagar.

Près de 800 militaires avaient été appelés pour restaurer l’ordre dans les rues de Muzaffarnagar.

Les événements de Muzaffarnagar ont-t-ils relancé l’Inde sur le sentier des troubles interconfessionnels alors que le pays va se lancer dans la campagne électorale pour déterminer qui aura en main les rênes de la « plus grande démocratie du monde »? Au regard de certaines manigances politiques, ce scénario semble se dessiner. Avant les affrontements entre Hindous et Musulmans en Uttar Pradesh, les rivaux politiques (BJP et Samajwadi Party) de cet état s’étaient hasardés à des discours de haine, prononcés en public où les auditeurs n’ont pas hésité à brandir leurs armes, prêts à en découdre, autant avec leurs ennemis « confessionnels » que « politiques ».

Cette dynamique se traduit sur le terrain par une hausse importante des violences confessionnelles. Selon le ministre indien de l’intérieur, Sushil Kumar Shinde, a indiqué que 451 affaires du genre avaient été enregistrées depuis le début d’année, surpassant es 410 incidents rapportés pour l’ensemble de l’année 2012. Face à la presse, il annonce déjà que les violences religieuses devraient s’accroître en prévision des élections de 2014. Dans ce processus, tous les regards se portent vers l’état d’Uttar Pradesh qui avec ses 80 sièges à pourvoir pour le Parlement sera un état-clé pour la formation d’un nouveau gouvernement. « La situation est inquiétante parce que les acteurs politiques de cet état tentent de polariser les voix des électeurs en s’appuyant sur les sensibilités religieuses » explique Ramachandra Guha, un historien indien.

Politique, fracture économique et troubles religieux, le fardeau de l’Inde moderne.

Mr. Guha souligne que plus de la moitié de l’Inde est trop jeune pour se rappeler la vague de violences qui avait entraîné l’Inde dans le chaos dans les années 1990 et la manière dont les politiciens les plus opportunistes avaient fait éclater les cicatrices des fissures religieuses qui avaient ensanglanté le pays dans le passé. L’âge moyen en Inde est de 26 ans.

Après les émeutes de 2002 survenues au Gujarat, l’Inde avait laissé apparaître un visage fait de bien moins de violences sectaires que dans la décennie précédente. Entre 2002 et 2010, le pays avait connu sa période la plus prospère, dont son insolent taux de croissance témoignait de son dynamisme.

Aujourd’hui, de nombreuses similitudes apparaissent avec l’Inde du début des années 1990. L’économie du pays connaît une profonde récession, des millions d’Indiens éduqués peinent à entrer sur le marché du travail et le gouvernement au pouvoir, mené par le parti du Congrès est dépassé et s’empêtre dans des affaires de corruption notoires. La classe moyenne n’apprécie plus les actions gouvernementales de redistribution économique en direction des plus pauvres et les compromis religieux montrent des signes d’épuisement.

Destruction de la mosquée d'Ayodhya en 1992.

Destruction de la mosquée d’Ayodhya en 1992.

Néanmoins, la situation des années 1990 était bien plus sérieuse. En décembre 1992, la faiblesse du gouvernement du Congrès n’avait rien pu faire face à la détermination de la foule d’intégristes hindous qui, menée par quelques chefs du parti nationaliste hindou, le BJP, avait démoli la mosquée de Babri, datant du 16ème siècle, à Ayodhya dans l’état d’Uttar Pradesh. Après la destruction de la mosquée, des émeutes et des affrontements avaient fait plus de 900 morts à Bombay, pour la plupart des Musulmans. En représailles, en mars 1993, des extrémistes musulmans avaient fait explosé plusieurs bombes à Bombay, tuant plus de 250 personnes.

En 1993, Susanne et Lloyd Rudolph, professeurs de sciences politiques à l’Université de Chicago avaient écrit dans un essai nommé « Modern Hate » que la foule qui avait détruit la mosquée d’Ayodhya était composé « de personnes éduqués sans emploi, et non des pauvres illettrés ». « Frustrés par le manque de bonnes places et d’opportunités d’emplois, ils sont les victimes de la modernisation à la recherche d’autres victimes, en accusant les Musulmans » expliquaient-t-ils.

Selon les Rudolph, les émeutes des années 1990 ne s’appuyaient pas tant sur les anciennes théories de révisionnisme historique mais bien plus sur les fractures économiques contemporaines causées par le ressentiment des hautes classes hindoues face à la politique gouvernementale des quotas d’emplois à destination des Musulmans et des basses castes hindoues. Aujourd’hui, l’affrontement pour le contrôle de l’Uttar Pradesh fait que le BJP a converti ce ressentiment en un vote hindou alors que le Samajwadi Party pense engranger les voix des Musulmans en se positionnant comme les défenseurs de cette communauté.

La religion semble rester l’une des voies les plus sures pour la mobilisation politique des masses en Inde selon le politologue Ashis Nandy. « Les arguments portant sur les castes n’attirent plus qu’un petit nombre de personnes. La nouvelle classe moyenne indienne est encore trop naïve pour se focaliser uniquement sur les préoccupations économiques » remarque-t-il.

L’indépendance du sous-continent de la tutelle britannique et sa partition s’étaient accompagnées d’une violence génocidaire qui a coûté la vie à des millions d’Hindous et de Musulmans. Si les années 1950 ont été relativement calmes, les années 1960 et 1970 ont été les témoins d’émeutes sur émeutes à travers tout le pays. Les années 1980 sont restées célèbres pour le massacre de plusieurs milliers de Sikhs à Delhi par une foule menée par des politiciens et des sympathisants du parti du Congrès. Le mouvement nationaliste hindou pour la construction du temple de Rama sur le site de la mosquée de Babri à Ayodhya à dominer la fin des années 1980 et le début de la décennie 1990.

« Le début des années 1990 a simplement été l’apogée des tensions qui ont fermenté depuis des décennies. Les émeutes que nous observons aujourd’hui ne sont pas un simple retour aux années 1990. C’est ce que la politique indienne a fait durant la plus grande partie de son histoire » commente Ashis Nandy.

Julien Lathus

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