Chasse aux sorcières en Inde

Face à la recrudescence des affaires criminelles mettant en cause des chasses à la sorcière dans la province d’Odisha, des polices locales ont annoncé en ce début d’année la mise en place de services entièrement dédiés à la lutte contre ces pratiques. Éclairage sur un …

Femmes adivasis, principales victimes des chasses aux sorcières en Odisha

Face à la recrudescence des affaires criminelles mettant en cause des chasses à la sorcière dans la province d’Odisha, des polices locales ont annoncé en ce début d’année la mise en place de services entièrement dédiés à la lutte contre ces pratiques. Éclairage sur un phénomène meurtrier.

Dimanche 31 décembre, une femme de 45 ans, Jasmati Munda a été brutalement assassinée et a ensuite eu les yeux arrachés après des accusations de sorcellerie dans le village de Dampur. Un suspect a été arrêté : Jagannath Munda, son voisin. La police explique que Jasmati s’était épris de la fille d’un an de Jagannath, la prenant souvent à son domicile pour jouer avec elle. Début décembre, la petite tomba malade et fut emmenée chez un « médecin » qui expliqua à Jagannath que sa fille était malade du fait de magie noire orchestrée par une femme de son village, une femme de l’apparence de Jasmati.

Cinq jours plus tard, dans le district de Keonjhar, une autre femme de 45 ans, Manguli Majhi a été battue à mort par un homme, depuis arrêté qui aurait avoué avoir suspecté cette femme d’être une sorcière.

Face à cette poussée, l’administration du district voisin de Mayurbhanj a décidé de la mise en place d’une unité spéciale à intervention rapide en vue de combattre les dérives liées aux superstitions locales. Cette unité travaillera de concert avec les services sociaux, éducatifs et médicaux. Au cours de ces 4 dernières années, le district a enregistré, officiellement, 98 affaires relatives à des affaires de chasse à la sorcière dont 45 pour meurtre. L’unité spéciale devrait pouvoir être opérationnelle d’ici le 15 janvier et compter 26 équipes.

Folklore, tribalisme et genre

Principaux états où se déroulent les chasses aux sorcières

Entre 2000 et 2012, les chasses aux sorcières ont coûté la vie à 2097 personnes en Inde. Et c’est dans le nord du pays que se déroulent la majorité des affaires liées à la sorcellerie (chiffres gouvernementaux). Parmi les états de l’Union qui sont le plus affectés (voir carte), c’est le Jharkhand qui détient le plus de cas de vengeance envers des présumées sorcières avec, entre 2001 et 2013, 414 décès et 2854 affaires rapportées. Peu d’hommes figurent dans ces décomptes. Les femmes en représentent l’immense majorité. Souvent, ce sont des veuves ou des femmes esseulées dont le mari est parti travailler dans un autre État.

Pendant longtemps, ces affaires concernaient les populations tribales (presque majoritaires dans les états d’Ohdisha, du Jharkhand et du Chhattisgarh) mais récemment, elles se sont immiscées au sein des basses-castes Dalits et parmi les autres minorités du pays.

La culture des sorcières en Inde se pare de tout le folklore habituel. Elles sont accusées de lancer le mauvais œil, de pouvoir manger des humains ou de leur jeter des maladies, de tuer le bétail et détruire les récoltes. Mais tout cela n’est pas qu’une histoire de superstitions. Derrière le rideau surnaturel réside souvent une dynamique de vengeance ou d’élimination dans des affaires foncières, de succession, de voisinage ou encore de mœurs.

Pour savoir si telle ou telle catastrophe est le fruit d’une sorcière, on fait appel à un ojha, un docteur dont les pouvoirs leurs permettent de retrouver une sorcière responsable de méfaits. Selon la pyramide hiérarchique des tribus rurales de la zone, la communauté est sous la coupe d’un triumvirat : un chef politique (munda), un leader religieux (devri) et le ojha.

Ce dernier apprend puis utilise ses pouvoirs pour contrer ceux de la sorcière (daayan), adepte de magie noire apprise par le biais de récitations (mantra) et des chansons, de nuit aux fonds des bois ou dans une plaine dégagée. Dans le folklore tribal, les incantations maléfiques sont souvent associées aux nuits de nouvelle lune. Entre ojha et daayan, c’est le combat de la magie blanche contre la magie noire.

Selon le rituel d’identification, le ojha désigne la sorcière après les incantations traditionnelles. Parfois, les noms de certaines femmes d’une même classe d’âge sont inscrits sur les jeunes pousses de sal (arbre typique d’Asie du Sud). La personne dont le nom est inscrit sur une branche qui se flétrit est alors taxée de daayan. Dans d’autres cas, de petites portions de riz sont cousues dans petits sacs de toile avec différents noms, puis placés dans un nid de termites. Si les termites mangent l’un des sacs, il est alors suffisant pour faire d’une femme une sorcière. Une autre méthode consiste à faire ingérer à l’accusée une potion qui devra déterminer de sa véritable nature. En 2011, un ojha du Chhattisgarh fut arrêté après que prés de 30 femmes furent intoxiquées par un mélange de plantes toxiques infusées qui leur obligea de boire afin de découvrir la sorcière.

D’ordinaire, la chasse à la sorcière commence à la suite d’une mort ou d’une épidémie dans un village. Dés que l’on est sûr qu’elle est l’œuvre d’une sorcière, les habitants se mettent à prier dans l’optique de contrer ce qu’ils croient être un mauvais sort. Dans certains cas, du riz bouilli mélangé aux cendres d’un coq immolé, enveloppé dans une feuille de bananier est posé au milieu de la route en guise d’offrande à la daayan.

« Au Jharkhand, cette culture est depuis longtemps pratiquée chez les populations tribales Santhal sur la base de tensions liées au genre » explique Shahank Sinha dans un article consacré à cet aspect de la culture tribale Adivasis. Par exemple, les femmes de l’ethnie Kharia sont exclues de tous rituels religieux en raison des craintes liées aux croyances selon lesquelles le sang des menstruations attireraient les esprits malins. Dans les communautés tribales Adivasi, elles sont écartées des obligations religieuses en raison d’une peur mélangée à de la suspicion quant à leur sexualité.

Les femmes, premières victimes

Shahank Sinha explique également qu’à la fin du XIXème, les femmes cataloguées comme sorcière étaient exclues de la communauté, verbalisées et rarement tuées. « De 1933 aux années 1970, il y a eu une baisse du nombre de morts liés à ces affaires en raison de l’émergence du mouvement Adivasi (en vue de leur reconnaissance au sein de l’Union Indienne) qui a apaisé les tensions internes à la communauté ».

Dans les années 1980, le chercheur a pu observer une résurgence de la chasse aux sorcières. Dés lors, de nombreuses affaires liées à ce phénomène font état de femmes obligées de parader nues dans les rues du village, de viols collectifs, d’ablation de la poitrine, de tonte de cheveux ou de cassage de dents avant l’exclusion de la communauté. « Jamais dans le passé une femme n’a subit un tel sort après avoir été reconnue comme sorcière » commente le chercheur.

Si les crimes commis dans la foulée d’une accusation font tous pénalement répréhensibles selon le code pénal indien, il n’existe aucune loi sur le plan national contre la chasses aux sorcières. Seuls les états du Bihar, du Jharkhand et du Chhattisgarh ont des lois spécifiques de prévention face aux chasses, toutefois, il faut qu’il y ait preuve de violence physique, rendant toute notion de pression mentale hors de ce cadre législatif. C’est sur ce point qu’est intervenu récemment le gouvernement du Rajasthan en légiférant sur le harcèlement des femmes taxées de daayan.

Julien Lathus

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